Renforcer le financement féministe durant la pandémie de COVID-19 et au-delà

Billet d’une blogueuse invitée : Beth Woroniuk, responsable des politiques au Fonds Égalité

Les organismes féministes du monde entier réagissent, par nécessité, à la crise de la COVID-19.

Au Liban, ils fournissent des services d’urgence et atteignent les groupes « difficiles à joindre ». En République démocratique du Congo, ils se servent de la radio communautaire pour transmettre des messages cruciaux en matière de santé au plus grand nombre. Les travailleuses du sexe au Sénégal offrent du soutien et des équipements d’urgence aux membres en première ligne qui sont confrontées à une augmentation de la stigmatisation et de la violence.

Comment la crise de la COVID-19 menace les organismes féministes

Les mesures de distanciation sociale et de confinement interdisent les réunions, les discussions publiques et les rencontres en personne. La création de mouvements doit donc se faire selon des modèles innovants. Les mesures susmentionnées présentent des obstacles, voire des dangers additionnels. L’absence de services de communication à large bande, des connexions électriques peu fiables et des milieux de vie exigus rendent souvent impossible le télétravail, ou « travail à domicile ». Les couvre-feux et les fermetures restreignent les déplacements. Les cas de violence conjugale augmentent, et le « foyer » n’est plus un lieu sécuritaire pour un grand nombre. La responsabilité accrue de fourniture de soins repose principalement sur les épaules des femmes. Pour les travailleuses informelles et celles qui comptent sur une affectation quotidienne pour nourrir leur famille, l’arrêt de l’activité économique se traduit par le risque de périr de faim. Les forces de sécurité qui font respecter le confinement provoquent une militarisation des collectivités et le déni des droits de la personne.

Le sort des femmes, des filles et des personnes non binaires en marge de la société est particulièrement préoccupant. Les groupes LGBTQ+ signalent une augmentation de la discrimination lorsqu’il s’agit d’obtenir des soins médicaux, ainsi que des atteintes à leurs droits. Les femmes dans les camps de réfugiés s’inquiètent du maintien des normes d’hygiène alors que l’approvisionnement en eau potable est rare ou inexistant. Les activistes en matière de droits des personnes handicapées ne ménagent pas les efforts pour faire en sorte que les messages relatifs à la santé atteignent tout le monde. La mission des femmes qui participent à la consolidation de la paix est triple : militer pour la cessation des hostilités, aider les familles à obtenir les nécessités de base et sensibiliser à l’égard du coronavirus. Les migrantes qui ne sont pas en possession des documents appropriés s’inquiètent au sujet de l’accès aux soins de santé et craignent la déportation si leur situation devenait connue.

Au cours d’une récente discussion en ligne, Anita Bhatia, sous-secrétaire générale des Nations Unies et directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes, a fait remarquer que nombre d’organismes de femmes sont menacés de disparition en raison de la crise actuelle. Œuvrant déjà avec un financement minimal, une myriade de ces organismes risquent la fermeture. Les fonds versés au compte-goutte aux organismes de femmes pourraient se tarir alors que les bailleurs de fonds (plus particulièrement les institutions de développement bilatérales et multilatérales) réorganisent leurs budgets pour soutenir le renforcement des réseaux de santé ou les programmes de relance économique qui délaissent les mouvements et organismes féministes.

Des avertissements fusent de tous côtés. Deux initiatives de financement préalablement approuvées pour un réseau d’organismes de femmes œuvrant dans des contextes de conflits ont été suspendues. Les organismes canadiens de développement prévoient une baisse substantielle des collectes de fonds au cours des deux prochaines années. Il est maintenant plus difficile d’effectuer des virements internationaux aux activistes.

Sont encore plus à risque les organismes qui travaillent auprès des personnes très marginalisées, souvent invisibles. Ces organismes ont été les premiers à se manifester, et avec le plus de force : les groupes LGBTQ+ confrontés à de nouvelles formes de discrimination, les organismes de femmes et de personnes handicapées qui s’efforcent de faire en sorte que tous reçoivent les messages cruciaux sur la santé et la sécurité, de même que les organismes regroupant les travailleuses du sexe qui tentent d’obtenir des produits de nettoyage et du matériel de protection pour leurs membres.

Qu’est-ce qui est important? La compassion. La confiance. L’innovation.

Durant nos récentes consultations de l’étape de « conception et constitution » du Fonds Égalité dirigées pour nous par l’Association for Women’s Rights in International Development (AWID), nous avons entendu à maintes reprises parler de l’importance des relations, de la solidarité, du soutien et de la responsabilité envers les mouvements féministes. Autrement dit, de l’importance de transformer le pouvoir et d’établir des relations de confiance dans les positions inégales de pouvoir inhérentes aux relations entre bailleurs de fonds et bénéficiaires.

L’établissement de ces relations nouvelles nécessite un leadership féministe et comporte des risques. Nous tirons notre inspiration du travail d’organismes sœurs, dont Astraea Lesbian Foundation for Justice et son initiative en matière de sécurité holistique — des stratégies intégrées pour le bien-être physique, numérique et psychosocial ainsi que pour la prise en charge collective — des partenaires bénéficiaires et leur propre personnel.

Nous en apprenons sur la confiance à mesure que nous constituons le Fonds Égalité. Le renforcement de relations qui vont au-delà des questions d’argent exige temps et efforts. C’est pourtant absolument vital. Un bon nombre de nos bailleurs de fonds nous fournissent un financement souple. Ils nous font confiance pour gérer leur argent de manière responsable, persuadés que nous en ferons le meilleur usage possible. Par conséquent, la confiance qu’ils nous témoignent nous permet de nouer de solides relations avec nos partenaires bénéficiaires. Nous remarquons l’ardeur au travail, le dévouement et le courage de ces derniers, ainsi que la connaissance qu’ils ont des besoins. Nous pouvons alors leur apporter notre appui pendant qu’ils s’adaptent à la crise du coronavirus, puisque les anciennes priorités demeurent valides dans le contexte actuel.

Nous avons maintes fois constaté que les crises créent des occasions de changement. Lorsqu’ils disposent de ressources suffisantes, les organismes de femmes saisissent les occasions de provoquer des changements — dans les sociétés, les économies et les collectivités. Nous avons vu cela au Népal où les filles réclamaient leur libération des étables (où elles étaient obligées de passer le temps de leurs règles) à la suite du séisme de 2015. De nos jours, de jeunes Afghanes s’ingénient à fabriquer des ventilateurs avec des pièces automobiles usagées.

Recommandations relatives à la réponse mondiale

Les appels à prendre en considération les différences et inégalités entre les genres dans les réponses locales, nationales et internationales à la COVID-19 prennent de l’ampleur. La communauté internationale fait l’objet de pressions pour s’attaquer à l’augmentation de la violence sexospécifique découlant des politiques de distanciation sociale et de confinement, soutenir l’économie des soins, garantir l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, et veiller à ce que les besoins des femmes soient satisfaits dans l’ensemble des mesures économiques et des programmes de relance. Pourtant, malgré le rôle essentiel des organismes de défense des droits des femmes pour faire avancer ces enjeux, le financement et le soutien de base sont absents d’un certain nombre de ces listes.

Voici comment les bailleurs de fonds internationaux et nationaux peuvent soutenir les organismes de défense des droits des femmes, maintenant et durant la phase de relance :

Collaborer avec les fonds pour femmes (particulièrement avec ceux des pays du Sud). Les grands bailleurs de fonds peuvent offrir du soutien aux fonds pour femmes qui disposent déjà de réseaux pour joindre et soutenir les organismes de femmes et de LGBTQ+. Ces bailleurs de fonds proviennent du mouvement féministe et doivent répondre de leurs décisions aux acteurs féministes. Ils sont déterminés à renforcer l’écosystème de financement féministe qui soutiendra une réponse d’urgence progressive et tendra vers une relance plus juste et plus équitable.

Intégrer de la souplesse dans le financement des organismes de défense des droits des femmes. Les bailleurs de fonds qui finançaient déjà les organismes et initiatives féministes devraient réévaluer la situation. Les « éléments livrables du projet » très positifs qui faisaient l’objet de l’accord initial pris il y a quelques mois ont perdu leur pertinence. Voyez s’il est possible de remanier les budgets, les champs de travail et les résultats escomptés de façon à les adapter à cette nouvelle réalité. Il faut comprendre qu’il est pratiquement impossible de travailler à plein rendement étant donné que les membres du personnel subissent les répercussions de la crise de la COVID-19 dans leur propre vie, au sein de leur famille et de leur collectivité. Il importe aussi de veiller à ce que les budgets soutiennent la sécurité holistique des activistes et des mouvements, y compris la sécurité numérique.

Écouter, écouter, écouter. Les organismes dirigés par les personnes à qui ils offrent des services connaissent les besoins et savent comment orienter leur action en ce moment. Les bailleurs de fonds internationaux doivent s’inspirer des organismes de défense des droits des femmes qui œuvrent dans les collectivités. Les premiers avertissements sur le continent africain ont en effet été lancés par des organismes de défense des droits des femmes.

Ce sont eux qui, souvent, attirent l’attention sur les besoins des personnes les plus marginalisées et de celles qui sont les plus susceptibles d’être exclues des mesures générales.

Sanam Naraghi Anderlini explique les raisons pour lesquelles les organismes de femmes œuvrant pour la consolidation de la paix sont bien placés pour réagir à la COVID-19 et révèle les leçons que peuvent tirer les organisations internationales en appuyant le leadership des femmes.

Ces organismes sont des experts : ils apaisent les craintes et trouvent des solutions pratiques, consolident les communautés et atteignent les personnes les plus vulnérables, rappellent aux gens les aspects sexospécifiques de cette pandémie tout en sensibilisant et en s’employant à prévenir une croissance de la violence envers les femmes. Ils sont également conscients du racisme et des sentiments de haine qui pourraient surgir. Ils ont créé des réseaux et des structures à l’échelon local; ils ont accès à la population et aux autorités, ayant établi des relations de confiance avec ces deux groupes. Étant donné qu’ils connaissent bien les contextes et les cultures des collectivités au sein desquelles ils exercent leur action, ils sont en mesure d’adapter leurs messages à leurs auditoires, que ce soit sur des plateformes en ligne ou dans les médias locaux.

Suivre et rendre compte. Il ne suffit pas de souligner la pertinence d’analyses sexospécifiques ou d’approches tenant compte du genre à l’égard de l’épidémie du coronavirus. Les bailleurs de fonds internationaux devraient « suivre la trace de l’argent » et produire des comptes rendus transparents des analyses effectuées, des façons dont la réponse a effectivement satisfait les divers besoins particuliers des femmes, des filles et des personnes non binaires, et des montants qui ont été versés dans les comptes bancaires des organismes de femmes. Il est temps de renverser la tendance depuis longtemps établie à parler de l’égalité des genres sans toutefois appuyer les activistes féministes.

Mettre en place des voies de financement nouvelles et meilleures. À moyen terme, s’efforcer de créer de nouveaux programmes qui achemineront les ressources aux activistes féministes. Le financement devrait fournir des ressources de base souples et prévisibles à des niveaux nettement supérieurs à la norme actuelle, particulièrement dans les régions touchées par des conflits. De nouvelles injections de fonds substantiels sont indispensables pour répondre aux besoins des organismes féministes. Il sera encore plus nécessaire d’abolir les vieilles restrictions au financement (rigidités bureaucratiques, notions de risque désuètes, surveillance excessive, etc.) et de trouver de nouvelles façons de travailler pour aborder les réalités de la période qui succédera à la pandémie.

Bâtir la « nouvelle normalité »

Il existe, en ce moment même, nombre de besoins urgents en matière de financement et de soutien. Des organismes de défense des droits des femmes souffrant de sous-financement chronique se mobilisent dans le monde entier pour faire face à la COVID-19. Le Fonds Égalité se mobilise pour les soutenir. Nous invitons d’autres organisations à faire de même.

Les gens parlent déjà du monde qui viendra après la COVID-19. Comment pourrions-nous reconstruire en mieux? Ce que nous finançons aujourd’hui aidera à façonner l’avenir.

L’écrivaine Arundhati Roy a comparé cette pandémie à un portail ou une passerelle entre un monde et le suivant. Elle nous exhorte à « traverser légers, transportant peu de bagages, prêts à imaginer un autre monde ».

Notre vision d’un monde plus juste, plus durable et plus équitable — et des voies pour l’atteindre — se précisera et deviendra plus facile à cerner si nous soutenons non seulement la survie, mais aussi la croissance et le dynamisme des organismes de femmes et des mouvements féministes, maintenant et dans l’avenir.

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