Theo Sowa, PDG du Fond africain pour le développement de la femme, a récemment présenté une allocution lors d’une séance organisée par le réseau GenderNet, portant sur l’égalité des genres dans le contexte de la Covid-19. La réflexion qu’elle y a partagée était simple, mais profonde. Tout en réclamant la priorité pour l’égalité des genres et les droits des femmes, elle a formulé une mise-en-garde : reconstruire en mieux n’est pas suffisant puisque l’ancien régime a essentiellement laissé pour compte des millions de femmes et des milliers d’organisations de défense des droits des femmes.
Au cours de l’année écoulée, le Fonds Égalité était impliqué dans la démarche de commémoration du 25e anniversaire de la Déclaration et programme d’action de Beijing (B+25) mené par ONU Femmes et les gouvernements de la France et du Mexique. Entre autres, le FÉ a contribué aux séances de préparation du Forum Génération Égalité et a participé à l’une des coalitions d’action multipartite chargée de mobiliser l’action collective. Au début, le FÉ faisait partie d’un groupe qui se réunissait de façon informelle afin de discuter les stratégies que le Forum Génération Égalité pouvait déployer pour appuyer davantage les organisations de défense des droits des femmes. Aujourd’hui, le FÉ est membre de la coalition d’action 6 : Les mouvements et le leadership féministes.
Tout d’abord prévue pour juillet 2020, la commémoration B+25 est l’un des nombreux jalons perturbés par la pandémie mondiale. Toutefois, le président français Emmanuel Macron a annoncé ce mois-ci que le Forum Génération Égalité se tiendrait à Paris en juin 2021. Présenté comme « un moment crucial pour l’activisme, la solidarité féministe et le leadership des jeunes avec l’ambition de parvenir à des changements transformateurs », le Forum présente l’occasion rêvée, à très court terme, de suivre les conseils de Theo Sowa. À quoi mènerait l’abandon du concept du « mieux reconstruire » dans la démarche de Génération Égalité? Comment tirer profit de ce moment pour frayer une nouvelle voie centrée sur les organisations féministes, leurs besoins et leurs priorités?
Alors que d’une part on reconnait de plus en plus que l’égalité des genres est à la fois catalyseur et indicateur des progrès en développement en général, d’autre part, on note un écart fondamental entre cette prise de conscience et les façons dont le travail féministe est financé et appuyé. Quoique les organismes de défense des droits des femmes et les mouvements féministes jouent un rôle crucial dans l’avancement de l’égalité des genres, ils ne reçoivent qu’un infime pourcentage du financement général — lui-même déjà restreint — alloué à la programmation sexospécifique. Un récent rapport publié par l’OCDE démontre que la plupart des fonds alloués par les gouvernements aux organisations de la société civile et destinés à l’égalité des genres sont reçus par des ONG établies dans le pays-donateur, et non par des organisations situées dans les pays du Sud.
Nous vous présentons trois questions de réflexion pour examiner la démarche du B+25. Les réponses démontreront si Génération Égalité dépassera le « mieux reconstruire » pour effectuer des avancées significatives envers la création de ce nouveau monde, indispensable :
1) Est-ce que la démarche menant au Forum Génération Égalité 2021 s’efforce de rendre explicites les relations de pouvoir? Les actions stratégiques transfèrent-elles de façon significative le pouvoir décisionnel aux organisations de la société civile, aux activistes féministes ou aux gouvernements des pays du Sud? Depuis trop longtemps, le processus décisionnel a laissé pour compte ces personnes qui ont à la fois le plus à gagner et le plus à perdre. Génération Égalité s’est engagé à changer cette dynamique et la clé de son succès sera de défier cette relation entre l’argent et le pouvoir, c’est-à-dire entre qui possède et qui contrôle. La façon dont ce pouvoir est reconnu, examiné et transféré se doit d’être la préoccupation principale pour assurer que B+25 dépasse ces anciens paradigmes permettant à ceux qui possèdent les ressources, et non les solutions, de contrôler le pouvoir. Sans cette évolution, les modèles qui ont à ce jour servi à élaborer les cadres en matière d’égalité des genres ne pourront être transformés.
2) Les coalitions d’actions sont-elles inclusives et comportent-elles une forte participation des gouvernements des pays du Sud et des activistes féministes de sociétés civiles? Des organismes de sociétés civiles ayant participé à la mise en œuvre du Forum Génération Égalité ont signalé l’importance de l’accessibilité et de l’inclusion. Est-ce les coalitions voient à ce que les jeunes femmes, toutes les femmes, quelles que soient leurs capacités, ainsi que les personnes non-binaires, trans et queer puissent pleinement y participer? Le Forum Génération Égalité promet d’être axé sur les sociétés civiles. À la base, les coalitions doivent définir les actions stratégiques qu’elles proposeront à partir des priorités et des besoins exprimés par les activistes pour les droits des femmes et par une pleine diversité d’organisations. Voilà ce qui comptera comme indicateur clé de l’intention de forger de nouvelles solutions et de réorienter la confirmation de ce qui est essentiel.
3) Est-ce que la coalition d’action 6, axée sur les mouvements et le leadership féministes, sera mise à contribution pour accroître davantage et de manière flexible le flot de ressources aux mouvements féministes? Cette coalition offre l’occasion rêvée de renforcer l’écosystème du financement féministe en transférant davantage de fonds, et des fonds de grande qualité aux organisations de défense des droits des femmes. Cela dit, la coalition d’action 6 ne peut être la seule à miser sur l’accroissement du soutien aux organismes féministes. Si c’est le cas, Génération Égalité aura perdu la chance de renforcer les liens avec ces organisations qui travaillent au quotidien pour faire avancer l’égalité des genres.
En se concentrant sur les mouvements et le leadership féministes et leur travail, Génération Égalité reconnait l’importance de leur rôle pour traiter des problèmes mondiaux les plus pressants. Alors que de nouvelles solutions sont requises, les organisations féministes sont une ressource mondiale essentielle au changement. Le plein effet de Générations Égalité ne pourra être atteint sans la véritable participation des mouvements féministes. Transférer davantage de fonds et des fonds de meilleure qualité aux organismes de défense des droits des femmes et aux mouvements féministes est l’une des façons de surpasser un encadrement ancré dans le « mieux reconstruire ». Car leur travail à la fois audacieux et transformateur, axé sur l’égalité des genres, sur l’autonomisation économique, sur les droits et la santé sexuelle et génésique, sur la justice climatique et plus encore, constitue une base solide pour le travail de Génération Égalité à venir.